“Des jardins thérapeutiques adaptés aux pathologies”
Agronome spécialisé en biologie, le paysagiste Étienne Bourdon dirige O Ubi Campi, un bureau d'études paysagères qui travaille en partenariat avec des professionnels de santé pour créer et réaliser des jardins thérapeutiques. Depuis quatre ans, il a conçu une trentaine d'espaces sur mesure.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
Dirigeant du bureau d'études paysagères O Ubi Campi, créé en 2009, Étienne Bourdon avait une problématique particulière à résoudre. Que peut-on faire pour répondre à la fois aux attentes des soignants et des patients, sachant que le premier établissement de santé qui le contacte accueille des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ? Pour y répondre, il s'entoure d'une équipe de professionnels afin de comprendre la situation spécifique des patients. « Ces femmes et ces hommes se sont coupés des autres et cette rupture entretient la maladie », explique-t-il. Pour recréer ce lien, il décide de mettre en place des jardins thérapeutiques spécialement adaptés aux pathologies. Dans son « catalogue », il propose une trentaine d'ateliers paysagers destinés aux établissements de santé, à l'exemple du cadran solaire floral. En plantant des vivaces et des bulbes qui suivent les couleurs de l'arc-en-ciel, l'ombre se projette selon les heures sur une couleur. Des tulipes sont utilisées en début d'année, puis des Knautia macedonica pourpres, des Crocosmia 'Lucifer' orange, des Plumbago bleus et des Primula vialli... « Cette connexion avec le monde devient un jeu. Les malades retrouvent une relation espace-temps qui était perdue. Le jardin doit être ludique », explique Étienne Bourdon.
Avec 186 patients atteints d'Alzheimer, l'EHPAD (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) Solemnes de Savigny-le-Temple (77) est le plus grand établissement spécialisé en Europe. O Ubi Campi y travaille depuis trois ans. Le nouveau chantier concerne une unité d'hébergement renforcée (UHR) où les patients ont des troubles particulièrement lourds. L'équipe installe un revêtement « maison » pour les allées, mélange de sable et d'un liant organique, conçu pour faciliter le passage des fauteuils roulants. Deux autres jardins ont déjà été réalisés dans le parc, à l'arrière de la résidence. Au cours d'une visite de chantier, on se rend compte que le jardin est un lieu de vie : une résidente donne à manger aux lapins (Étienne Bourdon aime installer des villages de cochons d'Inde qui donnent envie aux jeunes générations de rendre visite à leurs aïeuls ; ici on a préféré des lapins). Un autre résident se promène et s'approche pour converser. Un groupe d'enfants de maternelle et de résidents vient s'installer au jardin avec deux soignantes : les lapins fonctionnent comme un aimant.
Anthony Gadois est jardinier-paysagiste et Compagnon du Tour de France. À Savigny-le-Temple, il est chargé d'installer une nouveauté dans le jardin de l'UHR : « Les résidents ont une image dégradée d'eux-mêmes. Nous avons construit une pyramide en verre avec des miroirs qui forment un jeu de prismes. On reflète le paysage et les personnes, mais pas en frontal. Un carillon et une arche en osier doivent encore être installés », soulignet-il, fier de travailler avec une entreprise « de référence ». Cette création est issue de discussions qui ont été menées avec les médecins et d'autres soignants. Le jardin est organisé pour circuler facilement : la déambulation étant un aspect important. Dans les trois espaces verts de l'EHPAD, plusieurs types de jardinières se côtoient : un modèle circulaire permettant l'accès en fauteuil roulant (une réalisation maison), des contenants où la terre est surélevée pour faciliter l'accès et des petits potagers en pleine terre. Le jeune paysagiste en formation aime beaucoup l'aspect humain de ce travail : « Les résidents viennent nous voir. Et contrairement aux réalisations pour des particuliers, ce jardin n'est pas un objet comme une nouvelle voiture. Il a une fonction réelle pour les patients. »
Le sensoriel est très important. « On travaille les sens avec différents feuillages, rugueux ou doux. On invite les résidents à tresser des Festuca glauca, très agréables au toucher ; un geste qui rappelle l'enfance. Il faut instaurer une forme d'intimité, ramener le sol au plus près pour rassurer », poursuit Étienne Bourdon qui a remarqué qu'il est préférable de faire des massifs d'une seule couleur car le mélange peut être inquiétant pour les patients. La question des clôtures est donc centrale au coeur de ces établissements : ces unités sont souvent sécurisées mais le jardin doit, en principe, être en accès libre. Pour éviter l'impression d'enfermement qui donne envie aux résidents de « s'évader », on préfère des clôtures discrètes, dissimulées par de la végétation. Un manuel est fourni à l'établissement. Il n'a pas d'entretien à assurer, mais du suivi créatif à prévoir environ trois fois par an. Étienne Bourdon suggère par ailleurs d'organiser deux événements annuels avec les familles pour « habiter le jardin ».
Après quatre ans d'expériences, le dirigeant d'O Ubi Campi tire quelques enseignements. L'architecture générale du jardin favorise la plénitude dans l'esprit des espaces modelés des lettrés chinois du XIe siècle. L'esthétique invite à sortir. Et la sécurité est primordiale en évitant, par exemple, l'utilisation de plantes toxiques ou coupantes. Le paysagiste explique aussi que le jardin thérapeutique offre trois dimensions : « passive (aller au jardin ) ; interactive (le patient fait quelque chose et le jardin donne en retour) et proactive (le jardin est une opportunité, une activité de transformation). » Mais il se méfie des modes d'emploi standard. « Je me mets à l'écoute des experts pour analyser chaque pathologie et trouver ce qu'on peut faire à travers le jardin. Il s'agit de lui donner toute sa potentialité. Ce n'est pas juste histoire de s'aérer et d'être dehors. La première étape est modeste : il s'agit d'améliorer le bien-être. Les animateurs constatent, par exemple, une meilleure concentration chez les autistes. » Apporter la preuve des bienfaits du jardin thérapeutique (physiques, comportementaux, cognitifs, sociaux) est important pour Étienne Bourdon qui aimerait donner à cette toute jeune discipline une image de sérieux. « Nous sommes encore dans l'attente d'en faire la démonstration. J'ai un protocole en ligne concernant 125 patients dans différents établissements qui traitent de la maladie d'Alzheimer et un autre avec des autistes. » En milieu gériatrique, une façon de mesurer les bienfaits serait de voir si la pratique de ces activités permet de réduire la prise de médicaments anxiolytiques en soirée.
O Ubi Campi réalise environ 40 % de son chiffre d'affaires dans la création de jardins à vocation thérapeutique, dont les montants s'échelonnent de 10 000 à 100 000 euros. Après le chantier seine-et-marnais, l'entreprise mènera de nouveaux projets en Picardie, en Île-de-France pour créer un jardin dans un EHPAD qui reçoit les SDF parisiens âgés, en Alsace au coeur d'un centre de cardiologie strasbourgeois. Étienne Bourdon finalise par ailleurs un plan de formation destiné aux personnels soignants.
Isabelle Boucq
Pour accéder à l'ensembles nos offres :